Cette délibération consiste à nous proposer, conformément à une proposition réglementaire et parce qu’il y aurait eu une amélioration suffisante de la qualité de l’air sur le territoire de Toulouse Métropole, de suspendre l’interdiction des véhicules classés crit’air 3, qui devait initialement être appliquée à partir du 1er janvier 2024.
Il nous semble qu’il est tout de même nécessaire de faire un petit rappel des épisodes précédents pour bien comprendre ce qui se joue en fait ici aujourd’hui.
Le cœur du sujet, c’est bien évidemment celui de la pollution atmosphérique et son impact sur notre santé ; l’histoire dans laquelle s’inscrit cette délibération, c’est celle des mesures mises en place par les pouvoirs publics pour limiter cette pollution.
La pollution atmosphérique est un enjeu reconnu au niveau européen depuis les années 2000 pour ses conséquences, parfois mortelles, sur la santé, mais aussi économiques avec un coût induit colossal pour la société, estimés à 393 millions d’euros par an pour Toulouse soit 819 euros par an et par habitant.
Quand on parle de pollution de l’air, on fait référence à deux principaux polluants liés aux transports :
- les oxydes d’azote (NOX) qui proviennent principalement des transports thermiques
- et les particules fines.
L’impact de ces deux polluants est bien documenté, notamment par l’ATMO.
Des exemples internationaux montrent que la mise en place de mesures type ZFE ont une efficacité avérée sur la réduction de la pollution et sur l’amélioration des conditions de santé des populations. Même si la variété des dispositifs mis en place, en termes de périmètres ou type de limitation, rend difficile les comparaisons, notons quand même qu’à Madrid par exemple, la ZFE a permis de réduire de 32% la concentration de dioxyde d’azote, d’après une étude du Réseau Action Climat.
En France, on a longtemps peiné à agir concrètement pour réduire la pollution de l’air. La 1ere zone à circulation restreinte a tout de même été mise en place à Paris en 2015, démontrant qu’une réflexion était engagée et des actions possibles.
Mais à Toulouse et à l’échelle de la Métropole, depuis ces premiers pas et jusqu’à aujourd’hui encore, la caractéristique essentielle est celle d’un manque d’anticipation, de vision de long terme et de volontarisme concret pour répondre aux deux enjeux liés que sont l’impératif de santé d’une part, la justice et l’acceptabilité sociales d’autre part. Sachant, il faut le rappeler, que les populations les plus pauvres sont celles qui subissent le plus violemment les deux types d’impacts, sur leur santé et sur leur pouvoir de vivre.
Ce n’est pas faute pourtant, de la part de la société civile, notamment l’association Archipel Citoyen, d’avoir contribué à divers moments et ce dès 2019 avec par exemple une cartographie superposant les lieux accueillant des enfants et les concentrations de polluants dans l’air, à produire de la connaissance et à proposer des outils pour expliquer les enjeux aux populations.
Mais il a fallu attendre la fin des élections municipales de 2020 pour que la ZFE soit annoncée et qu’elle se mette en place sur un temps très court, trop court par rapport au temps nécessaire à l’acceptation sociale et à réorganisation des familles pour leurs déplacements, par rapport à l’élaboration d’informations claires et à la mise en place d’aides concrètes et adéquates. Alors que c’était possible puisque d’autres agglomérations ont fait bien mieux que nous.
De fait, faute de convictions politiques fortes dans la légitimité d’agir pour réduire la pollution atmosphérique liée aux transports, faute d’inscription dans une stratégie globale, des protestations compréhensibles ont émergé, pour contester l’injustice sociale occasionnée, oubliant le second pilier, tout aussi essentiel, de la santé publique.
Bien sûr la situation est complexe, très complexe et nous ne nions pas qu’allier santé et justice sociale est un casse-tête que chaque maire et président de Métropole de France a à résoudre.
Et oui l’interdiction en 2024 des Crit’Air 3, si elle avait été sincère, aurait créé de grandes difficultés.
Mais la politique de l’autruche n’est en aucun cas pour autant acceptable.
Il faut donc continuer à travailler la question de la pollution, afficher courage, visibilité et politique ambitieuse de report modal de la voiture individuelle vers les autres solutions, tout en fournissant un calendrier clair pour les futures cibles des baisses de seuil : les Crit’Air 1 à 3.
Car en effet ce n’est pas parce que le gouvernement a fait un tour de passe-passe en relevant sans aucune justification scientifique le seuil d’obligation de mise en place des ZFE de 10 à 40 microgramme/m3 que d’une part la pollution a disparu puisqu’entre 1200 et 2000 personnes restent selon ATMO toujours sujettes à des niveaux de pollution supérieurs aux 40 ug/m3 et que d’autre part, ce que nous dénonçons depuis 5 ans ne va plus arriver : à savoir que le parlement européen va nous obliger à baisser les seuils admissibles pour se conformer aux seuils recommandés par l’OMS c’est à dire aller vers les 10 microgrammes/m3 soit 5 fois moins que ce que respirent les populations pauvres en bord de rocade, 5 fois moins.
Autre chiffre, de l’ATMO, pour dire d’une autre manière l’urgence de la situation : à Toulouse on a entre 3,5 et 5 km2 exposés à un dépassement des valeurs limite soit entre 500 et 700 terrains de foot le long des axes routiers.
Les habitantes et habitants peuvent comprendre les enjeux et le défi qu’il faut relever.
Ils peuvent d’autant plus le comprendre si on leur explique et si on prend, parallèlement, des mesures cohérentes par rapport à ces enjeux : pousser et agir pour rendre concret une solution de RER, encourager vraiment, par des aménagements et par des aides les alternatives que constituent les mobilités douces, arrêter de construire des routes en prétextant que ça évitera les bouchons, alors que l’on sait que le trafic induit augmente à terme.
Pourtant, cette délibération ne nous propose rien de plus que de prendre acte de la suspension de l’application de la ZFE pour les Crit’Air 3. Elle est même l’occasion de s’enorgueillir, un peu malhonnêtement, de ce qui est présentée comme une amélioration de la qualité de l’air sur notre territoire. Oubliant de rappeler que ladite amélioration est essentiellement contextuelle (elle prend en compte l’année 2020, année COVID où, de fait, les émissions ont été réduites mais pas grâce à des mesures qu’on aurait prises), oubliant surtout de dire que Toulouse reste en moyenne sur la dernière année la ville la plus polluée juste derrière les 5 villes épinglées par le dispositif.
Nous demandons qu’en complément de cette prise d’acte, d’autres mesures soient prises immédiatement, pour éviter de revivre dans quelques mois, l’exacte réplique des précédents épisodes :
- Dire la vérité sur l’arrivée prochaine de normes plus restrictives de pollution atmosphérique et la situation concernant la pollution. Et en évaluer les conséquences sur les restrictions. Cela signifie dès maintenant informer, conseiller, accompagner avec de vrais moyens d’ «aller vers » les habitantes et habitants
- Fournir une visibilité claire et de long terme, d’ici à 2035, en phase avec ces normes et s’y tenir pour ne pas créer à nouveau une perte de crédibilité pour vous et un sentiment d’injustice pour toutes celles et ceux qui ont cru dans votre engagement M. moudenc et ont donc remplacé leur véhicule Crit’air 3 en toute bonne foi et/ou conscience de l’avenir
- Mettre en place dès aujourd’hui un plan d’urgence transports comme nous le proposons depuis des années afin de permettre aux habitantes et habitants de changer leurs modes de transport actuel et offrir une palette complète d’opportunités à combiner en fonction des besoins, allant des transports en commun (bus, RER, tram), du vélo, du covoiturage, des 2 roues électrique, du pass petits rouleurs, de l’auto-partage jusqu’au retrofit des véhicules. La subvention au véhicule électrique personnel, si elle a le mérite d’exister, ne permettant aucunement d’être envisagée comme une solution équitable. Tous les moyens cités devant être poussés à la fois par l’infrastructure (voies, bornes de recharge et parkings relais) et par des politiques tarifaires incitatives.
- Suspendre les projets routiers actuels, notamment la Jonction Est, qui ne participent pas, loin s’en faut, à résoudre les problèmes et à engager le changement culturel nécessaire.
- Faire intervenir l’ATMO en Conseil, pour renforcer la connaissance et la compréhension de nous tous ici. Instance que nous n’avons toujours pas le droit de rencontrer, je le rappelle, alors que nous en avons fait la demande officielle en juillet parce que dixit ATMO il faut avoir l’aval du pouvoir politique majoritaire pour pouvoir demander des explications sur leurs rapports. 3 mois et toujours un silence assourdissant de M Chollet face à notre demande. Ce qui une nouvelle fois montre la transparence démocratique dont vous faites preuve.
Parce que cette suspension pure et simple ne résout rien, masque les faits scientifiques, n’anticipe rien, manipule la question de la justice sociale en maintenant l’injustice sanitaire ; bref, parce qu’elle ne se montre pas à la hauteur des enjeux, nous nous abstiendrons sur cette délibération.