5.21 – Quartier Basso Cambo – Autorisation donnée à la Société Mégarama de déposer les autorisations nécessaires à l’implantation d’un complexe cinématographique – Caroline
Cette délibération consiste à permettre à Megarama de déposer une demande d’autorisation en Commission départementale d’aménagement cinématographique (CDAC) pour l’implantation d’un multiplexe cinématographique à Basso Cambo, dans un quartier populaire.
Ce que révèle cette décision, c’est, il nous semble, votre volonté de donner une caution « culturelle » nécessaire à la validation d’un projet immobilier et commercial.
Pourquoi pas, mais il nous semble cependant que les choses sont un peu plus complexes que cela.
D’abord, il y a un risque d’impacts importants sur l’écosystème des salles de cinéma du territoire : soit 26 cinémas dans l’agglo toulousaine, dont 21 salles classées art et essai (privées, associatives ou municipales).
En effet, on déroule là un tapis rouge à un grand groupe et à ses actionnaires, au lieu de soutenir les salles existantes qui ont été fragilisées par les crises successives : sanitaires, énergétiques et maintenant l’inflation.
Certes, la CDAC ne prend pas en compte la notion de concurrence. Et, de toute façon, un grand nombre des salles précitées ne peuvent évidemment pas être considérées comme «concurrentes» d’un réseau comme MEGARAMA. Cependant, le rapport de force fragiliserait sans aucun doute toutes les salles déjà existantes.
Ensuite, il faut dire un mot sur le type d’offres cinématographiques qui sera probablement proposé dans ce cinéma et sur les effets globaux que cela créé.
Même s’il est censé proposer de la diversité, il est possible de douter de la sincérité de cet objectif : il suffit pour cela de regarder les films à l’affiche dans les établissements de ce groupe ailleurs en France. Si aucune mesure coercitive pour le respect de sa mise en œuvre n’est prévue, les engagements sur la diversité n’engagent que ceux qui veulent bien les croire.
Et donc, un projet comme celui qui sera porté par Megarama entraînera inévitablement, outre l’affaiblissement de l’aménagement culturel du territoire (fragilisation des petites salles):
- la baisse et l’appauvrissement de la diversité (les mêmes blockbusters partout en même temps),
- et l’inévitable fragilisation des actions de médiations culturelles (scolaires, social) et des emplois liés.
En effet, ce sont les salles de cinéma actuelles, notamment les salles d’art et d’essai, le Cratère, l’ABC ou encore l’American Cosmograph, mais aussi le centre culturel Alban Minville, qui proposent des actions de médiations culturelles auprès des populations jeunes et issues de quartiers populaires.
N’aurait-il pas été pertinent de déployer de l’énergie dans l’octroi de moyens à ces acteurs dont la raison d’être n’est pas seulement commerciale ?
Un peu de théorie, pour clarifier mon propos : ce type de multiplexes tendent à proposer une offre mainstream, c’est-à-dire fortement vantée par la publicité, au détriment d’œuvres moins connues. Cette uniformisation est un appauvrissement.
Et en l’absence de médiation, d’échanges, on tend à une unification des pratiques, ce qui nuit d’une certaine manière à la pluralité, mais, au-delà, peut participer de l’affaiblissement de la démocratie. Je m’explique : ces effets liés à l’appauvrissement de l’offre soulèvent des enjeux en termes d’inégalités sociales, puisque les possibilités de contourner ces effets sont différentes selon les catégories sociales.
De fait, cela contribue à créer une polarisation de la société qui a des effets délétères en termes de cohésion sociale.
Et le rôle des collectivités publiques, c’est de s’en préoccuper et d’agir pour éviter ce phénomène, en soutenant des propositions de médiations, en soutenant les créateurs et les diffuseurs qui ne sont pas préoccupés que par le profit. Le réseau diversifié de salles de cinéma permet de montrer la richesse de la production cinématographique, et constitue ainsi un maillon essentiel pour représenter cette pluralité. L’implantation d’un nouveau multiplexe risque de bouleverser cet équilibre.
Pour contribuer au vivre-ensemble, les salles de cinémas doivent rester des lieux d’échanges et de débats, et non des halls d’aéroport, aseptisés, uniformes et déshumanisés. Et nous avons un rôle à jouer en la matière.