Quand j’étais petit, je regardais un chouette dessin animé qui s’appelait “inspecteur Gadget”. Dans chaque épisode, un sympathique mais pathétique inspecteur suréquipé en gadgets farfelus partait contrecarrer les plans du docteur Mad, mais ses gadgets l’amenaient à faire bourde sur bourde, et en parallèles les enquêtes étaient résolues par la courageuse et maligne Sophie, sa nièce, qui, utilisant elle sa rationalité et ses connaissances techniques, déjouait les complots avec l’aide de son chien Finot.
M. le président, vous me rappelez furieusement l’inspecteur Gadget avec toute la panoplie technologico-gadgétoide que vous nous offrez depuis le début du mandat : arbre à algues, canopée urbaine, feux de signalisation pilotés par intelligence artificielle, points d’apports volontaires déchets alimentaires dits innovants (expérimentation bizarre qui, j’en parlais tout à l’heure, nous fait perdre un temps considérable) et surtout la gabegie technologique la plus marquante de ces dernières année : Hyperloop, dont je rappelle qu’elle a nous coûté 3 ans de loyer gratuit à 92 500 euros l’année, une dépollution/démolition entièrement assurée par la Métropole pour 5.44M d’euros alors que le coût aurait dû être partagé avec l’Etat, et un mess des sous-officiers qui a continué à se dégrader sans être rénové comme signé, et qui nous a obligé à mettre 6.5M de rénovation dans ce bâtiment.
Certes, cette fois, le nouveau gadget semble ne pas coûter grand-chose à part l’utilisation de l’espace public et le temps passé par les services à structurer cette AMI, mais je vais expliquer d’abord en quoi nous avons à faire à une nouvelle gabegie et une absurdité technique et écologique, mais aussi en quoi votre propension au technosolutionnisme et à la communication clinquante est dommageable à notre collectivité et à la transformation sociétale qui nous incombe vers une société durable.
Donc le vélo à hydrogène. Ça en jette, c’est sûr.
Avant d’expliquer en quoi ce projet est absurde, je souhaiterais dire que nous n’avons rien contre la technologie. Elle est clé dans notre combat vers une Métropole durable et que ce soit sur le photovoltaïque, la méthanisation, la géothermie, l’ingénierie et la science nous permettent de décarboner nos modes de vie avec une efficacité croissante et une nécessité absolue.
Nous sommes pour la science, vous êtes pour le technosolutionisme. Nous sommes pour la responsabilité et la conscience devant les investissements technologiques que nous devons sélectionner, vous êtes soit pour la croyance béate devant le startupisme habile à capter l’air du temps soit pour la communication à outrance qui empêche de faire des choix courageux. J’y reviendrai.
Que disent la science et les ingénieurs énergéticiens sur la question de l’hydrogène? Que dit la pragmatique Sophie devant le nouveau patin à roulettes à propulsion nucléaire de son vieil oncle l’inspecteur Gadget, devenu plus seulement le tonton réac mais le tonton à réaction ? Nous avons consulté des spécialistes de la mobilité décarbonée, un astrophysicien spécialiste de l’hydrogène et avons pu entendre également les arguments d’une personne particulièrement compétente sur le sujet puisqu’elle est présente dans cette salle, a été responsable de la mobilité cyclable et travaille dans le secteur de l’aviation à hydrogène.
Tous sont unanimes : le vélo à hydrogène, c’est comme le pédalo nucléaire : totalement inutile et c’est du gaspillage. Quatre arguments pour le comprendre :
- Aujourd’hui le véhicule à assistance électrique couvre largement le besoin et personne dans une Métropole n’a besoin de 190 kms d’autonomie, pas même les professionnels qui utilisent si besoin une seconde batterie, professionnels qui ne sont même pas la cible de l’entreprise ici puisqu’elle vise ici les grandes entreprises qui pourraient être tentées de prêter ces vélos (totalement inabordables pour des particuliers à 9000 euros TTC le vélo) à leurs salariés (aujourd’hui aucune n’a signé), bien qu’on se demande pourquoi faire. Ah, si, la réponse vient peut-être des clients actuels de Pragma : quelques rares offices de tourisme et entreprises.
- Ensuite viennent les fuites : la molécule d’hydrogène étant très petite, les fuites sont inévitables ; ainsi il faut soit des stockages de très haute qualité, soit un flux d’utilisation rapide. Et nous n’avons ni l’un ni l’autre. Donc nous allons avoir des triporteurs à hydrogène qui vont rouler dans notre ville pour remplir des cuves à hydrogène qui vont se vider puisque sous-utilisées. Et là vous aurez reconnu un dessin animé sûrement plus de votre génération, M. Moudenc : oui la société Pragma nous rejoue les Shadocks.
- Venons-en au pire : mon collègue Patrick Chartier l’a dit. on pourrait donc bénéficier de 3 fois plus d’électricité dans une batterie qu’avec la conversion à hydrogène. C’est du gaspillage.
- Alors on pourrait se dire que nous avons de l’électricité gratuite et en quantité phénoménale pour la gaspiller autant, et que l’hydrogène vert coule sous les ponts. Eh bien non. Aujourd’hui, 99% de la production dédiée d’hydrogène est issue de ressources fossiles (1/3 charbon, 2/3 gaz naturel) et émet en moyenne 15 kg de CO2 pour 1 kg d’hydrogène
L’hydrogène vert doit donc être absolument réservé aux usages nécessaires dont le vélo est le dernier utile, bien derrière l’industrie lourde et la sidérurgie, voire la mobilité lourde. À ce sujet, sur l’échelle de l’hydrogène qui classe les usages utiles de l’hydrogène entre A et E, Thomas Gibon (ingénieur centralien et docteur en écologie industrielle) proposait la création d’une catégorie F, la plus inutile, spécifiquement pour le vélo.
L’agence internationale de l’énergie a par ailleurs émis des doutes sérieux sur la capacité mondiale de décarbonation de la production d’hydrogène et l’ADEME de conclure que son usage devra, je cite, rester très ponctuel, limité au nécessaire, avec d’abord une sobriété nécessaire sur les usages énergétiques.
Tout le contraire du vélo à hydrogène qui s’apparente au final à du gaspillage d’électricité.
Et je souhaiterais là rappeler que cela fait 3 ans que nous le disons, que nous avons fait voter un vœu à l’unanimité dans cette assemblée pour mettre en place une feuille de route rigoureuse et responsable de l’utilisation de l’hydrogène. Feuille de route que nous n’avons pas, attendons toujours, et qui n’aurait jamais autorisé cette expérimentation douteuse.
Vous allez me dire : _”oui mais ça ne nous coûte rien”, et j’en viens à la dangerosité de vos opérations de com. Je citerai Jean-Baptiste Fressoz, historien des sciences et techniques, chargé de recherche au CNRS. “La puissance de séduction de la transition est immense : nous avons tous besoin de basculements futurs pour justifier la procrastination présente”.
Et l’hydrogène symbolise exactement cela : un espoir irrationnel qui nous permet de ne pas avoir de courage.
Notre responsabilité en tant que politiques est de lutter contre ces mirages, d’avoir un discours de vérité sur la pente raide qui est face à nous, responsabilité de ne pas survendre la technologie, celle de présenter avec courage et lucidité la situation à nos habitantes et habitantes et tenir les discours du GIEC, de l’ADEME, de l’agence international de l’énergie : celui de la sobriété des usages et de l’énergie.
Nous avons un devoir immense : celui de la lucidité et nous avons une obligation terrible : celle du courage.
Le courage politique c’est celui d’expliquer à nos concitoyens que les années 80 sont derrière nous et que l’avenir nous impose une économie d’énergie, forte, de croire la science même si elle nous dépeit un avenir ardu et ne pas croire aux doux mirages technologiques.
La solution viendra de l’innovation, oui, technique en partie, mais avant tout innovation sociale, de l’innovation dans les modes de vie et les usages, pour aller d’une société de la possession à une société de l’usage, du partage et de la coopération. Nous devons être les architectes d’une Métropole de la coopération.
Et c’est le sens du vœu que nous déposons aujourd’hui : À l’opposé du vélo à hydrogène, solution élitiste, onéreuse, coûteuse d’un point de vue environnement, compliquée, nous proposons de lancer un pan entier d’économie locale autour de l’éco-système vélo, durable, simple, en circuit court tout en étant ambitieuse, appuyé par des offres massives et partout sur la Métropole, dans chaque commune, de location vélo à assistance électrique longue durée comme à Paris, de prêt ou vente à bas prix de vélos recyclés comme à Lyon, d’ateliers d’auto-réparation, d’écoles vélo. Nous avons les embryons et les modèles via la Maison du vélo mais nous procrastinons.
Le potentiel est immense puisque l’enquête mobilité a révélé ces chiffres sidérants : nous sommes à 4% de part modale du vélo seulement sur l’aire urbaine, 6% à Toulouse. 43% des habitants de l’aire urbaine prennent la voiture pour faire un trajet entre 1 et 2 kms et 63% pour faire entre 2 et 5 kms.
Certes la priorité est à mettre dans nos infrastructures qui ne sont pas à la hauteur et leur progrès beaucoup trop lent par rapport au reste de la France, mais il est encore temps, en témoigne Lyon qui vient d’annoncer 500 millions d’euros d’investissement infrastructure vélo sur 10 ans quand nous mettons 80M sur le REV en 6 ans.
En tous les cas il faut anticiper et se lancer dans cette économie de la formation, réparation et location/prêt de cycles qui créera des emplois locaux, non délocalisables, chargés de sens et de lien.
Une économie qui développe l’autonomie de notre territoire et génère des emplois dans toutes les catégories sociales et notamment les jeunes et les moins qualifiés, notamment par la filière de la réparation vélos, catégorie qui justement est là où nous sommes les plus faibles.
Une économie qui vise l’équilibre et la justice et pas seulement le ruissellement.
Une économie par touTEs et pour touTEs, pas une économie pour quelques ingénieurs.
Nous avons besoin d’une économie du présent et pas de celle d’un futur hypothétique.
Les solutions de résilience sont déjà présentes, agissons en catalyseur de celles-ci.