“Tout le monde veut le paradis, mais personne ne veut payer le prix”.
Cette phrase de Tiken Jah Fakoly a résonné dans ma tête quand j’ai travaillé en détail le plan qui est devant nos yeux. Car une nouvelle fois, je ne sais pas si je dois me réjouir de vous voir récupérer les idées d’Archipel Citoyen puisque cela montre que nous influençons culturellement la politique de la ville où m’en inquiéter parce qu’à l’image des politiques cyclables, de la végétalisation ou de la démocratie, vous allez détourner nos idées, les affaiblir, cachées derrière un énorme et couteux effort de com.
En 2023, nous lancions donc des ateliers dans la ville “Toulouse 2050” où nous invitions les passants à se projeter vers 4 villes du futur, inspirées des 4 scénarios prospectifs de l’ADEME : la super smart city, la métropole verte, la cité coopérative et la ville frugale. Nous confrontions des modèles de société pour montrer que des choix drastiques allaient devoir être fait pour concilier qualité de vie, vivre ensemble, atténuation et adaptation climatique. Et donc que la démocratie devait jouer à plein pour faire ces choix sinon nous risquions de basculer dans l’autoritarisme.
Le 23 octobre 2024, nous réunissions 150 personnes pour une conférence sur le wokisme islamo-gauchiste, ah non-pardon, ce n’est pas celle-là, pardon une conférence sur “Toulouse sous 50 °C” en invitant deux scientifiques toulousains, un chercheur de Météo France, une chercheuse sur les ilots de chaleur urbain et Alexandre Florentin, directeur de la mission “Paris sous 50 °C”. Les ateliers furent riches et démontreurs de l’ampleur des changements à mener dans l’urbanisation de la ville et les mobilités pour tenir sous ces chaleurs.
Soyons honnêtes, vous travaillez depuis plus longtemps que nous, plus de 10 ans avec l’ADEME, l’AUAT, Météo France, et les satellites de la Métropole sur la thématique et c’est heureux. Avec une ambition impressionnante puisqu’il s’agit sur 25 ans de résorber 70 % des îlots de chaleur urbains forts (ICU) et de gagner 1,44 °C, deux objectifs très forts qui nécessiteraient de planter 670 000 arbres de haute tige, de désartificialiser 13 km² et de faire évoluer l’albédo de la ville à 0,4 (chiffre qui est celui du futur PLUi-H).
Un mandat à vos côtés nous a appris à nous méfier cependant de vos objectifs chiffrés comme ceux du PCAET et des –40 % d’émissions de gaz à effet de serre qui continuent d’orner les plaquettes et discours et dont nous découvrirons l’an prochain le résultat sachant qu’il y a 2 ans à peine, nous étions sur une trajectoire à -9 %, bien loin de l’objectif.
J’ai donc décortiqué avec attention le plan d’action qui permettrait d’arriver à ces objectifs impressionnants et louables. Certes je comprends qu’on en soit au début du travail et donc que tout ne peut être déjà ficelé mais je me suis intéressé à 2 sujets majeurs :
La désartificialisation : le plan semble passer par dégoudronner 50% des espaces publics. Diable, comment allez-vous faire ça? Il est brièvement mentionné une déclinaison à venir par quartier, un référentiel d‘aménagement à créer et un laconique “Étudier toutes les opportunités de dégroudronnage”. C’est tout ce qu’on trouve pour débitumiser 13 km². Ou non, pardon, il y a la création d’un square de 500m2 par quartier, soit 0,002 km² soit 0,015 % de l’objectif visé. Vous rendez vous compte de ce que vous écrivez.
L’albédo : le plan parle de faire évoluer l’albedo de la ville à 0.4 qui est l’objectif imposé pour le nouveau bati dans le PLUiH dont je salue au passage les évolutions positives sur le coefficient de pleine terre, les logements bio orientés et traversants, les protections solaires et l’albedo. Mais même avec 25 ans de renouvellement urbain, comment faire bouger l’existant, des dizaines de milliers de bâtiments, de rues, de places vers un tel objectif ? C’est colossal. On se tourne alors vers le plan et la seule mesure notée est : améliorer l’albedo des espaces et bâtiment publics. Je comprends que c’est notre premier espace de travail, mais comment croire que cela peut suffire ? D’autant qu’à chaque conseil, on vend notre bâti ou nos espaces verts au privé ?
Je passe sur les 670 000 arbres à planter, car nous avons très largement parlé par le passé des limites de cet objectif quantitatif, et quand nous voyons que dans ce simple conseil, nous venons de voter l’arrachage de dizaines d’arbres centenaires. Et aurons-nous de l’eau pour autant d’arbres ?
Et il y a un manque colossal : celui de la pénétration de la climatisation sur Toulouse. C’est ce qu’on appelle de la mal adaptation. La climatisation en ville pose de nombreux problèmes : l’approvisionnement énergétique en été pour lequel notre réseau n’est pas dimensionné, mais surtout un problème de justice sociale environnementale, car la climatisation est une pollution thermique qui est une double peine puisqu’il y aura à Toulouse celles et ceux qui peuvent se payer la clim et rejeter de l’air chaud sur celles et ceux qui ne peuvent pas et ne dormiront plus de par la chaleur et le bruit. La climatisation, c’est la privatisation du confort et la mutualisation de l’inconfort à l’extérieur.
Et que dire du fait que vous tolérez encore des commerces avec les portes grandes ouvertes.
Soyons clairs, je n’en veux pas aux agents de la direction aux transitions qui planchent courageusement sur le sujet avec peu de moyens et mal placés dans la chaine alimentaire. Je salue aussi des petits pas positifs comme les IPR ou la volonté d’intégrer, même si je sais quel strapontin va leur être octroyé, la population et les entreprises dans le suivi. De même la stratégie des refuges climatiques démarre et c’est positif, car c’est le contraire de la clim, c’est la mutualisation du confort pour éviter sa privatisation.
Mais quand je vois que l’article 1 nous demande d’adopter une démarche qui tient en 4 pages et 30 phrases quand le projet de Paris a mobilisé des centaines d’agents, toutes les directions, 80 partenaires, 600 citoyens, 2 exercices grandeur réelle, ce n’est pas sérieux. J’ai bien noté qu’il y aura un rapport produit fin juin sur le sujet mais présenter aujourd’hui aux élus de la République un document si creux, je le répète, ce n’est pas sérieux.
À propos de sérieux, ce projet est d’une telle ampleur dans ses ambitions affichées, M Moudenc que, s’il était sérieux et responsable, il serait piloté et présenté par vos soins directement tant il modifie en profondeur la ville que nous connaissons. Et je le rappelle, vous êtes en plus et en théorie toujours responsable de la commission Ecologie en ville dans laquelle vous n’aurez, en 6 ans, jamais mis les pieds.
La ville ne se tournera vers l’avenir que si l’adaptation climatique devient la matrice de pensée de tous les services. Et je finirai par cela : nous n’avons toujours pas de plan d’adaptation. La surchauffe estivale n’est qu’un élément d’une politique d’adaptation.
Nous avons donc besoin que vous vous saisissiez des ambitions posées non pour en faire une nouvelle fois un exercice de communication électoral, mais pour en faire un projet de justice sociale et écologique.
Et comme je l’ai dit, vous jouez un jeu dangereux, car vous jouez avec l’espoir des gens qui croient que leur ville a un plan d’évolution ambitieux, quand tout ce que vous offrez avec vos petits pas, ce sont des chiffres sur papier glacé.
Oui, les toulousaines et toulousains auront besoin de douches froides à l’avenir, mais pas de celle que vous leur préparez.