Conseil municipal de Toulouse du 29 mars 2024
Co-rapporté par Antoine MAURICE et Maxime LE TEXIER
L’enjeu d’assurer l’entretien et la rénovation de l’habitat dégradé dans notre centre-ville s’est tragiquement rappelé à nous le 9 mars dernier, lorsque l’immeuble situé au 4 rue Saint-Rome s’est effondré aux alentours de 1h du matin. Fort heureusement, aucune victime n’est à déplorer mais cela relève bel et bien du miracle, au vu de la levée des principales mesures de sécurité avant l’accident et ce, malgré la connaissance du risque imminent. En effet, la circulation des piétons a été à nouveau autorisée autour du bâtiment quelques heures avant son effondrement, la discothèque située en face de cet immeuble menaçant ruine avait obtenu l’autorisation d’ouvrir et d’accueillir du public et les habitants des immeubles mitoyens étaient présents à leur domicile cette nuit-là. Quelques personnes sont même passées rue des Puits-verts, rue non protégée, quelques minutes avant l’effondrement.
La situation de l’immeuble du 4 rue Saint-Rome est loin d’être un cas isolé puisque l’immeuble sis 1 rue des Puits-Clos, lui aussi, menace ruine et a fait l’objet d’un arrêté d’interdiction d’habiter, l’édifice ayant été fragilisé par l’effondrement survenu le 9 mars. C’est aussi le cas de l’immeuble situé au 15 rue Vélane et de celui du 2 bis place Belfort. Ces dernières années, les effondrements d’immeubles et d’habitats anciens se multiplient, y compris à Toulouse. Chaque année, plus de 300 signalements sont transmis à la Mairie et, depuis 2014, plusieurs effondrements, totaux ou partiels, ont eu lieu à Toulouse : rue d’Austerlitz, rue Cujas, rue de la Fonderie, rue Perchepinte, Place du Salin, rue Poutiroux, rue des Pharaons, rue Vélane…
L’entretien des immeubles incombe aux copropriétaires mais force est de constater que tous ne sont pas au rendez-vous de leurs obligations, pour diverses raisons. Aussi, lorsqu’il s’agit d’assurer la sécurité des personnes, la collectivité ne peut s’en remettre à la bonne volonté d’acteurs privés et n’intervenir qu’en réaction à des situations de péril imminent. Les annonces récentes du Maire vont, pour certaines, dans ce sens. La création d’une cartographie des immeubles menaçants, le renforcement des équipes et la formation des agents, ainsi que la création d’un observatoire du bâti toulousain (bien que d’après la presse un observatoire des bâtiments dégradés avait déjà été mis en place en 2012) vont contribuer à améliorer l’état des connaissances sur le patrimoine bâti, aujourd’hui largement insuffisant. La ville de Marseille, au lendemain du drame survenu rue d’Aubagne, s’est donnée les moyens d’engager une action globale en mettant en place des équipes de médiateurs qui quadrillent la ville afin de recueillir les témoignages, d’identifier les situations à risque de manière exhaustive.
Toulouse Métropole a élaboré un projet de Plan de Sauvegarde et de Mise en Valeur (PSMV), qui doit être voté au prochain Conseil de Métropole et qui va faire l’objet d’une enquête publique, avec une entrée en vigueur prévue début 2025. C’est une avancée qui permettra aux propriétaires des 12.700 immeubles du centre-ville toulousain de prétendre à des aides financières et à des dispositifs de défiscalisation prévus par la loi Malraux pour les travaux effectués. L’entrée en vigueur de ce plan va aussi rendre obligatoire le dépôt de permis de construire ou de déclaration préalable pour tous travaux entrepris au sein du périmètre, y compris à l’intérieur des appartements. La réalisation d’un audit structurel sera rendue obligatoire et la collectivité pourra intégrer le cas échéant, des prescriptions en vue de faire réaliser les travaux nécessaires. Il s’agit d’un outil supplémentaire pour la collectivité mais il est à noter que l’obligation de déclaration peut aisément être contournée dès lors que les travaux ne sont pas visibles de l’extérieur (ex : démolition d’une cloison). Par ailleurs, le PSMV ne permet pas d’agir en dehors du cas où un propriétaire prend l’initiative de réaliser des travaux. Ainsi, la situation des immeubles vieillissants, aux bailleurs peu scrupuleux et/ou aux propriétaires occupants peu fortunés ne sera pas traitée avec l’entrée en vigueur du PSMV. En outre, son périmètre est restreint au centre historique situé à l’intérieur des boulevards. A titre d’exemple, l’immeuble sis rue Belfort, aujourd’hui fort heureusement aux mains de propriétaires arrangeants, n’aurait pas été couvert. Cela démontre la nécessité de prévoir des dispositifs applicables à l’ensemble de la ville.
La loi ALUR du 10 mars 2014 permet aux communes volontaires la mise en place d’un permis de louer afin de lutter contre l’habitat indigne et dégradé. Ce dispositif, déjà appliqué dans des villes comme Bordeaux, Albi ou Montauban, permet un contrôle par la commune des biens locatifs. En effet, il peut prendre la forme d’une demande d’autorisation préalable impliquant la vérification par les services de la qualité du bien lors d’une visite. L’application du permis de louer peut se faire en fonction de la caractéristique de l’immeuble, et s’appliquer sur le critère de l’âge du bâti. Constituant ainsi un outil plus extensif que le PSMV, restreint géographiquement.
Plus globalement, assurer la sécurité des habitants demande de l’anticipation et de la planification. Pour ce faire, les outils existent. En matière de planification, l’Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat (OPAH) permet de rénover l’habitat dégradé et de résorber les situations à risques, en accompagnant au niveau technique et financier les propriétaires privés (occupants ou bailleurs) dans leur projet de réalisation de travaux d’amélioration de leur logement : structure du bâtiment, économies d’énergie, qualité du logement, confort, accessibilité ou adaptation à la perte d’autonomie. De tels programmes ont déjà été mis en place à Toulouse, par exemple pour le quartier Arnaud Bernard entre 1982 et 1986, ou pour l’aide aux sinistrés de l’explosion d’AZF en 2001. Une OPAH patrimoniale glissante a même été menée avec l’Etat et l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) à partir de 2000 au sein de quatre zones du centre-ville toulousain : Gambetta-La Bourse, Saint-Rome-Esquirol, Gambetta-Saint-Pierre et Saint-Sernin.
Une collectivité peut imposer des rénovations de façon coercitive vis-à-vis des propriétaires indélicats, à travers l’Opération de Restauration Immobilière (ORI), outil qui permet la réhabilitation « forcée » en demandant à la Préfecture une déclaration d’utilité publique de travaux et, déclenchant, si les travaux ne sont pas effectués, l’expropriation. L’ANAH dispose par ailleurs d’un programme de traitement de l’habitat insalubre, remédiable ou dangereux qui apporte des réponses concrètes à travers une série de dispositifs et de diverses aides, qui peuvent être mobilisées par les propriétaires menant des travaux de réhabilitation. Les aides proposées par l’ANAH étant adaptées à chaque situation, il s’agit au préalable pour la collectivité de caractériser finement les cas rencontrés et, pour le Maire, de prendre les arrêtés adaptés le cas échéant : arrêté de mise en sécurité ou de traitement de l’insalubrité, arrêté d’interdiction définitive d’habiter, etc.
Enfin, il existe déjà également un pouvoir de police à travers la procédure ordinaire, article L511-2 du CCH, qui permet de lancer une procédure de travaux sans attendre le péril imminent, pouvoir insuffisamment mis en œuvre, qu’il est nécessaire de déployer plus régulièrement.
Par conséquent :
Article 1
Le Conseil municipal demande à Toulouse Métropole de lancer une étude préalable à la mise en œuvre d’une Opération Programmée d’Amélioration de l’Habitat (OPAH), permettant de mettre à jour les connaissances sur l’état du bâti ancien à Toulouse afin d’expertiser chaque immeuble, identifier les fragilités structurelles et déterminer les modalités d’intervention et les procédures à engager pour chaque situation, y compris la mise en œuvre d’Opérations de Restauration Immobilière (ORI) en cas de nécessité.
Article 2
Le Conseil municipal demande à Monsieur le Maire d’exercer pleinement ses pouvoirs de police spéciale relative à l’habitat, s’agissant particulièrement des procédures de péril ordinaire, dans une logique de prévention et d’application du principe de précaution, en rupture avec la stratégie qui prévalait jusqu’alors de réaction à l’urgence. Pour ce faire, un renforcement des moyens humains est indispensable pour mettre en œuvre davantage de procédures, mener à bien le nécessaire recensement et structurer une équipe de médiateurs dédiés à cette mission.
Article 3
Le Conseil municipal s’engage à mener une étude de faisabilité juridique en vue de faire évoluer le règlement d’attribution des subventions dédiées au ravalement de façade afin de conditionner l’octroi de cette aide financière à la réalisation d’un audit permettant d’écarter tout risque structurel sur le bâtiment et, le cas échéant, à la mise en œuvre de tous travaux de consolidation utiles.
Article 4
Le Conseil municipal s’engage à instaurer un permis de louer sur le périmètre cohérent avec les enjeux d’habitat dégradé, au-delà du périmètre restreint du PSMV. La mise en place de ce dispositif de la loi ALUR, permettrait à la mairie de Toulouse de surveiller l’état des logements via des visites régulières, et conditionnerait ainsi la possibilité de louer à un entretien de ces logements, via un permis à renouveler tous les deux ans.